La compagne d'un sans-papier s'est immolée par le feu, hier matin, pour protester contre la reconduite à la frontière de son ami arménien, le jour de sa sortie de la maison d'arrêt. Un journaliste d'Ouest-France a été brûlé en lui portant secours.
« Une torche humaine ! » Les quelques témoins du drame qui s'est déroulé, hier matin, devant la maison d'arrêt du Mans, sont sous le choc. Vers 9h, Josiane Nardi, une femme d'une soixantaine d'années, s'est immolée par le feu, juste devant la grande porte grise du bâtiment. Son compagnon, d'origine arménienne, allait être expulsé du territoire juste à sa sortie de prison.
Deux journalistes présents sur les lieux ont été extrêmement choqués. Jérôme Lourdais, notre collègue de la rédaction mancelle d'Ouest-France, brûlé à la main, était, hier soir encore, hospitalisé.
Condamnations pour violences
Le compagnon de Mme Nardi, Henrik Orujyan, 32 ans, Arménien, purgeait sa peine depuis un an et demi au Mans. Entré clandestinement en France en 2001, il a été condamné plusieurs fois, selon le préfet de la Sarthe. Vols, violences avec armes, violences sur sa concubine. Il est sous le coup d'interdictions du territoire, prononcées en 2002 et 2005. Mais jamais appliquées, en raison de son refus d'embarquer.
Pour cette nouvelle tentative d'expulsion, le préfet de la Sarthe avait signé « sur réquisition du procureur de la République », un placement en centre de rétention administrative. Marié en Arménie, père d'un enfant de huit ans, Henrik Orujyan n'a jamais demandé de régularisation mais il a sollicité, quatre fois, le bénéfice du droit d'asile à la France. Refusé quatre fois.
Josiane, il l'a rencontrée en 2005, dans l'Eure. Elle a même été placée en garde à vue et condamnée à une amende de 900 € pour l'avoir hébergé, lui, un sans-papiers. Elle venait le voir très souvent au parloir. Récemment, elle a acheté, pour lui, un bar dans le centre-ville du Mans.
« Je vais les empêcher de l'emmener »
Depuis plusieurs semaines, Josiane Nardi était inquiète. Elle s'était renseignée auprès de la préfecture, avait contacté un avocat, des associations de défense des droits de l'homme. Vendredi soir, comme un dernier recours, elle prévient la presse.
Vers 8h30, samedi, elle attend les deux journalistes devant la maison d'arrêt. Ne voyant pas son compagnon sortir, et alors qu'une voiture de police entre dans la prison, elle panique. « Elle a dit : je vais les empêcher de l'emmener », raconte un témoin.
Soudain, elle se jette dans sa voiture, garée devant la prison. En ressort avec une bouteille d'essence et un briquet. Sans que personne n'ait le temps de faire un geste, elle s'asperge. Les premiers témoins, dont notre confrère Jérôme Lourdais, tentent d'intervenir. Mais elle allume son briquet.
État très grave
Sérieusement blessé à la main, notre collègue la voit brûler, puis s'écrouler. Avec son confrère du Maine Libre et quelques passants affolés, il hurle à l'aide. Tambourine à la porte de la prison, qui reste close. Les témoins tentent d'éteindre les flammes avant l'arrivée des sapeurs-pompiers. « Je ne veux pas mourir, je veux voir Henrik », murmure Josiane Nardi. Pourquoi personne ne sort de la maison d'arrêtà ce moment ? « De l'intérieur, les policiers n'ont rien vu », répond le préfet.
Très choqués, les deux journalistes sont transportés à l'hôpital. Pris en charge par un psychologue. Hier soir, Josiane Nardi était entre la vie et la mort, à l'hôpital des grands brûlés de Tours. « Il y a de sérieuses raisons de s'alarmer pour elle », indique le préfet.
Le compagnon arménien assigné à résidence
Dans l'après-midi, une centaine de personnes se sont rassemblées devant la préfecture du Mans, pour crier leur indignation. « Nous demandons que la lumière soit faite sur la chaîne de responsabilité qui a conduit à ce drame. » HenrikOrujyan a été transféré au Centre de rétention administrative de Rennes. Selon nos informations, la décision a finalement été prise, hier soir, de ne pas l'expulser et de l'assigner à résidence. Un espoir pour lui de pouvoir se rendre au chevet de sa compagne.
Christine CORRE et Matthieu MARIN.
Ouest France (17 octobre 2008)