Réponse du CSP59 au Préfet de Région
Monsieur le Préfet,
Par lettre en date du 5 mai 2011, votre directeur de cabinet nous a transmis votre réponse au courrier par lequel le CSP59 sollicitait une audience à l’occasion de votre nomination dans notre belle Région du Nord/Pas-de-Calais, réputée pour son hospitalité et sa solidarité.
A notre demande d’audience vous répondez « qu’aucun élément nouveau n’est intervenu de-puis 2007 » pour refuser de nous accorder l’audience demandée. Puis vous précisez que « 26.000 titres de séjour ont ainsi été délivrés par les services de la préfecture du Nord en 2010 » avant de déclarer : « je réfute de la manière la plus ferme vos allégations concernant le caractère arbitraire des décisions qui sont prises par les services de la préfecture ». Pour étayer votre affirmation vous citez à la Commission Départementale de Réexamen des Situations Administratives des Etrangers (CODRESE) qui, selon vous « depuis sa mise en place en octobre 2007, …à laquelle participent neuf associations bénéficiant d’une notoriété
et d’une représentativité nationale ou locale, examine en toute transparence les dossiers qui lui sont présentés et éclaire ainsi les décisions de l’administration…approche équilibrée a conduit à un réexamen permettant la régularisation de plus de 1100 étrangers ». Enfin vous accusez notre « Comité, dénué de tout statut juridique, (de) continue(r) de privilégier un positionnement public contraire à l’esprit de dialogue et d’ouverture, indispensable au traitement de ces dossiers » pour nous inviter à soumettre nos dossiers aux associations de la CODRESE avec lesquelles nous aurions des liens.
Votre courrier appelle de notre part la réponse suivante :
Depuis la mise en place de la CODRESE, en octobre 2007, 3 des organisations membres de cette Commission ; historiques soutiens des sans-papiers ont organisé, conjointement et en partenariat avec le CSP59, 4 conférences de presse largement ouvertes au public et relayées par la presse régionale pour tirer les signaux d’alarme sur les dysfonctionnements de ce dispositif.
Ces organisations, avaient accepté pour certaines - après d’âpres débats internes - d’intégrer la CODRESE, malgré que celle-ci était régie dès le départ, par un règlement intérieur extrê-mement restrictif, comparé à l’accord « DELARUE » qui avait servi de modèle aux régularisations entre 2004 et 2007. Tout le monde s’accorde à dire que cet accord avait contribué à ramener l’esprit de dialogue, de l’espoir et une paix relative entre l’administration préfectorale et les sans-papiers dans la Région.
Le 30 mai 2008, soit 6 mois après l’installation de la C-DRESE, ces organisations, en ont, au cours d’une première conférence de presse, tiré les enseignements qui démontrent que le bilan de cet exercice est largement négatif. Le constat démontre que bien que restrictifs, les critères de régularisations existent, mais durcissent au fil des rencontres mensuelles pour devenir cumulatifs alors que le règlement intérieur ne le mentionne pas. Ce qui constitue un abus d’autorité. La régularisation par le travail agitée maintes fois, médiatiquement par les différents Ministres de l’Immigration, et inscrits dans les différents textes légaux sur l’immigration, fait l’objet d’interprétation et d’application au début, il suffisait d’une certaine durée de séjour, d’un potentiel d’insertion et d’une promesse d’embauche crédible pour être régularisé ; progressivement, ne pas remplir ces trois conditions est devenu un obstacle quasi infranchissable.
Le samedi 21 mars 2009, à l’appel du CSP59 et de ses partenaires, la salle Courmont est pleine à craquer. La presse, les syndicats, les partis politiques et bien entendu les sans-papiers, sont venus en grand nombre. Ces derniers, victimes de l’arbitraire préfectoral, sont venus en masse témoigner de leurs cas devant la presse, les élus, les représentants des partis poli-tiques et des syndicats.
Devant l’accélération de la dégradation de la situation, le CSP59 et ses partenaires convo-quent une nouvelle conférence de presse le 21 avril 2010. Les associations dénoncent l’apparition de nouveaux critères qui rendent la régularisation pratiquement impossible : « Les promesses d’embauche sont d’abord limitées au Département, l’entrée en France doit avoir eu lieu avec un visa délivré par le consulat de France et non plus par un Etat Européen, aucun membre de famille ne doit être resté au pays, à la condition de présence obligatoire dans le Nord depuis au moins un an s’ajoute l’obligation d’avoir fait les démarches administratives dans le Département, celles-ci devant être récentes. Dans le même temps, aux guichets, des agents « zélés », refusent d’enregistrer une simple demande d’examen ou de réexamen de dossier… ».
Devant l’accélération de la dégradation de la situation, le CSP59 et ses partenaires convo-quent une nouvelle conférence de presse le 21 avril 2010. Les associations dénoncent l’apparition de nouveaux critères qui rendent la régularisation pratiquement impossible : « Les promesses d’embauche sont d’abord limitées au Département, l’entrée en France doit avoir eu lieu avec un visa délivré par le consulat de France et non plus par un Etat Européen, aucun membre de famille ne doit être resté au pays, à la condition de présence obligatoire dans le Nord depuis au moins un an s’ajoute l’obligation d’avoir fait les démarches administratives dans le Département, celles-ci devant être récentes. Dans le même temps, aux guichets, des agents « zélés », refusent d’enregistrer une simple demande d’examen ou de réexamen de dossier… ».
Des décisions négatives arbitraires et des motivations stéréotypées : « Pas d’élément nou-veau, pas d’élément convaincant, n’a pas fait de démarche depuis un an ». Des dossiers en tous points identiques obtiennent des décisions différentes. C’est le cas des deux dossiers de jeunes ressortissants Tunisiens (bien avant la révolution de jasmin), tous deux célibataires, ayant contrats de travail et potentiels d’insertion semblables. L’un a été régularisé, l’autre a reçu un refus, au mépris du principe républicain d’égalité de traitement. Les promesses d’embauche vérifiées, accompagnées de l’engagement de l’employeur à payer la redevance de l’OFII, ne semblent plus constituer un critère emportant la conviction, au nom d’une lecture à géométrie variable des « métiers en tension ».
On le voit ici, le contrat de travail perd son caractère probant. Autrement dit, alors que les textes réglementent l’immigration par le travail, la Préfecture du Nord renvoie objectivement les travailleurs sans-papiers dans l’ombre du travail clandestin à la merci des patrons négriers.
La rencontre préfecture/associations du 13 avril dernier confirme l’évolution extrêmement restrictive de la CODRESE. Elle révèle que les régularisations sont passées de 40 à 27%, taux qui, bien qu’en baisse, peut paraître encore « généreux » pour certains, mais qui, en réalité est artificiellement « gonflé » par la prise en compte des DCM, des titres de visiteurs, ceux d’accompagnants de malades et bien d’autres situations qui, logiquement, ne devraient pas relever de la CODRESE.
Autre révélation de cette rencontre : la consécration officielle des refus d’accueil aux guichets, les usagers éconduits étant invités à saisir les tribunaux ! De leur propre aveu, plusieurs associations de la CODRESE n’osent même plus présenter de dossier, de peur d’être retoquées par l’administration.
De 854 en 2009, le nombre de dosiers présentés en CO-DRESE est, en effet, passé à 517 en 2010 !!! A la dernière CODRESE, les 9 associations ont présenté seulement 16 dossiers !!! Comment ne pas évoquer ici le cas des femmes immigrées battues par leurs conjoints, à qui la Préfecture retire leurs titres de séjour lorsqu’elles décident de divorcer ? C’est aussi le lieu de dénoncer cette pratique observée en préfecture dont a été victime un sans-papiers à qui on a remis un récépissé de 6 mois sur lequel la photo et l’identité correspondent à deux personnes différentes ; et lorsqu’il demande rectification, l’administration préfectorale lui remet un récépissé non autorisé à travailler alors qu’il est muni depuis 2004 d’un titre de séjour l’autorisant à travailler.
En fait « d’allégations » du CSP59, vous conviendrez, Monsieur le Préfet qu’il s’agit là des faits avérés ayant été publiquement dénoncés à travers notamment nos conférences de presse dont il est fait largement mention dans ce courrier. Ceci dit, la
question qui se pose est de savoir si oui ou non, le nouveau Préfet de Région cautionne ces pratiques arbitraires et manifestement destinées à vider de sa substance la régularisation par le travail, et dans le cas contraire, prendrait-il des mesures pour y mettre un terme ?
Le traitement complètement inacceptable réservé par l’ad-ministration préfectorale du Nord aux étrangers dans une France berceau des droits de l’Homme, nous amène à nous interroger sur le rôle « d’éclairer…les décisions de
l’administration » que vous attribuez aux associations admises à la CODRESE, rôle que vous définissez comme une « approche équilibrée…permettant la régularisation de plus de 1100 étrangers » ; ce chiffre étant avancé sans la moindre précision de la pé-riode à laquelle il se réfère. Paradoxalement, les associations de la CODRESE et les agents de guichet de la Préfecture, envoient régulièr-ment des sans-papiers dans nos permanences, en tout der-nier recours, lorsque toutes les voies de recours sont épuisées ; ce qui constitue un aveu de la compétence et du rôle du CSP59 en tant défenseur et représentant légitime des sans-papiers pour la régularisation de leur situation administrative. La conception du rôle de la société civile, telle que le laisse paraître vos propos, est une négation de ce que doit être un contre pouvoir face à un Etat qui prend la forme de Léviathan, monstre froid, en particulier devant les usagers sans-papiers ; représentant pourtant la catégorie la plus précaire de la France d’en bas. En tant que représentant des sans-papiers dans le Nord, le CSP59 est, depuis 1996, partie prenante du mouvement démocratique dans sa lutte citoyenne, contre le racisme, la xé-nophobie et pour le vivre en-semble dans l’égalité des droits.
En 2004, le CSP59 et ses partenaires associatifs ont été forces de proposition et garants de l’Etat de droit, en contribuant à la mise en
place de l’accord « DELARUE » qui a permis jusqu’en 2007 que l’administration préfectorale dans le Nord soit un véritable service public pour les usagers étrangers avec ou sans papiers. Force est malheureusement de constater que depuis 2007, le mouvement de recul des droits des immigrés d’une manière générale est globale. Le CSP59 réaffirme qu’il y a la loi et l’application de celle ci et la jus-tice, la rigueur, la compétence exigent de l’administration le respect des contre pouvoirs que sont les mouvements et associations de la société civile.
Quant à l’allusion sur le CSP59 « dénué de statut juridique », elle est de la même nature que le mouvement de reniement des droits des citoyens, des atteintes répétées aux libertés publiques auxquelles nous assistons depuis 2007. Ceci est d’autant plus incongru que lors de la mise en place de la CODRESE, en octobre 2007, la Pastorale des Migrants, association sans statut juridique, figurait sur l’invitation du Préfet de l’époque. Partenaire du CSP59, la Pastorale des Migrants avait décliné l’invitation par soli-darité, rappelant d’ailleurs qu’elle était sans statut juridique tout comme le CSP59. En revanche, le Pré-fet du Nord avait opposé une fin de non recevoir au Collectif Afrique, association loi 1901, dite « issue de l’immigration » ; ceci expliquant sans doute cela. Ce regard sur les immigrés rap-pellent aux sans-papiers qui sont dans leur majorité ressortissants des anciennes colonies françaises le « code de l’indigénat » qui fut une négation ségrégationniste coloniale du principe constitutionnel selon lequel « les hu-mains naissent libres et égaux en droit et en dignité ».
Enfin, en ce qui concerne notre « positionnement public » qui se-rait « contraire à l’esprit de dia-logue et d’ouverture », qu’il nous suffise de dire que nos rassemblements et manifestations de chaque mercredi Place de la Ré-publique/Parvis des droits de l’homme, sont conformes à la constitution du pays qui reconnaît le droit d’association et de manifestation ainsi que le droit à la libre expression. « L’esprit de dia-logue et d’ouverture », loin s’en faut, ne sont pas incompatibles avec manifestation, libre expression et dénonciation des dysfonctionnements administratifs.
Nous voulons insister sur le fait que nos propos ne visent aucune-ment votre personnalité et les éléments de réponse ci-dessus font justement partie de l’esprit de dia-logue et d’ouverture que le CSP59 a mis en avant pendant 15 an-nées de lutte citoyenne et populaire. Ce dialogue et cette ouverture sont nécessaires pour éviter que le désespoir des sans-papiers ne conduise à des situations de crise dommageable pour tous. Nous revendiquons surtout, ainsi que nous l’avait dit le cabinet du Ministre de l’Immigration en 2010, le même droit que tous les Collectifs des sans-papiers à être reçu et à exercer la défense argumentée des dossiers des personnes que nous représentons.
Dans l’attente d’une prise en compte de nos observations ci-dessus mentionnées, nous vous prions de croire à l’assurance de notre haute considération et de notre conviction que
quand l’Etat, à tous les niveaux, re-connaît l’utilité d’une société civile critique et exigente, la République et l’Etat de droit s’en trouvent affermis et ren-forcés.