OUJDA, Journal La Croix 27 septembre
Ses joues sont encore creuses. Un mois après son expulsion de France, le 23 août, avec son compatriote Hafid El Kaddouri, Miloud El Jabri, 34 ans, a à peine regagné quelques kilos des vingtcinq perdus au fil d’une grève de la faim de 70 jours. Dans le petit salon familial de Hay Hassani, quartier pauvre d’Oujda, à l’extrême nord-est du Maroc, l’ancien membre du mouvement de sanspapiers lillois, pourtant affaibli par une anémie et des œdèmes aux jambes, touche à peine au f’tour , le repas de rupture du jeûne de Ramadan.
Miloud raconte l’épreuve de force engagée par le Comité des sans-papiers CSP 59, du 15 juin au 30août, avec le préfet du Nord, Daniel Canepa, pour que soient régularisés 500 étrangers. Parmi des documents placés dans un dossier bleu, il montre un fax du préfet, à l’encre à peine visible, annonçant qu’en échange d’une attestation certifiant l’arrêt de la grève de la faim, il s’engagerait en faveur d’une régularisation.
Miloud voudrait y croire, même si ce genre de promesse n’a pas empêché son “éloignement du territoire français” après six ans de vie à Lille. Le 21 mars 2001, il avait traversé le détroit de Gibraltar à bord d’un zodiac avec une vingtaine de personnes, puis pris le bus à Almeria, sur la côte espagnole, direction Lille, où étaient installés son oncle, sa tante et un de ses frères.
Pendant six ans, Miloud “squatte à droite à gauche” , travaille au noir dans le bâtiment pour 20 à 30€ par jour, sert dans un café lillois. Le patron lui avait fait une promesse d’embauche sur la base de laquelle Daniel Canepa, en octobre 2006, avait annoncé sa prochaine régularisation. “Je n’ai jamais reçu les papiers” , assure Miloud. D’où sa décision d’en venir à l’occupation de bâtiments publics et à la grève de la faim. Aujourd’hui, Miloud ne regrette pas la ligne parfois qualifiée de “jusqu’au-boutiste” du CSP 59 : “On n’avait pas le choix.”
“Des gens m’ont payé le bus, je n’avais pas même de quoi téléphoner, témoigne Miloud. À mon arrivée à Oujda, mes parents ont eu un choc.”
Interpellé, dit-il, “comme un chien” , le 21 août, à l’hôpital de Tourcoing, Miloud passe 48 heures en rétention à Lesquin, avec Hafid El Kaddouri, “et direct Roissy”. Arrivés à Casablanca, les deux hommes passent deux jours en garde à vue, sans pouvoir prévenir leurs familles. “Des gens m’ont payé le bus, je n’avais pas même de quoi téléphoner, témoigne Miloud. À mon arrivée à Oujda, mes parents ont eu un choc.” “C’est la misère ici”, lance-t-il en désignant un terre-plein brouté par les chèvres, au milieu de baraques faites de carcasses de voitures et de pierres. Seul son frère, travailleur du bâtiment à Lille, peut désormais faire vivre la famille.
Le téléphone sonne : c’est Thérèse, membre de la Croix-Rouge et “marraine” de Miloud pour le suivi de son dossier. Il lui rappelle qu’il ne pourra pas, faute d’argent et de force, se rendre à Casablanca ce jeudi, où il est convoqué au tribunal de première instance. Lui et Hafid El Kaddouri, ainsi que deux autres Marocains, expulsés pour leur part d’Italie, doivent y comparaître pour “délit d’immigration clandestine” , selon la loi du 11 novembre 2003, dont l’article 50 fait de “l’immigration illégale” un délit passible de 270 à 900 € d’amende et (ou) d’un emprisonnement d’un mois.
CERISE MARÉCHAUD